Troisième lettre persane*

 

Beh Bher à Ali Bher

 

Nos compatriotes sont vraiment curieux : sur la chaussée ils te doublent à toute allure en te frôlant, sans égard pour ta vie, pour s’arrêter trois cents pieds plus loin, te font sursauter à grands coups d’avertisseur pour te saluer ou simplement pour exister et t’envoient des appels de phare pour te signaler que celui de l’Orange Bleue est allumé (ils ne peuvent imaginer qu’il est impossible d’éteindre le phare d’une machine européenne même lorsque le soleil est au zénith), mais dès qu’ils sont à l’arrêt ce sont les plus pacifiques, les plus charmants et les plus hospitaliers des enfants d’Allah.

Avant hier j’ai ainsi été invité deux fois à m’installer chez eux plutôt que d’aller à l’auberge, d’abord par cette dame, professeur d’anglais, qui pique-niquait de grand matin en compagnie de sa mère et de ses deux garçons

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puis par cette famille, qui faisait de même en fin d’après-midi (tu sais combien nous-autres, Persans, adorons étendre un tapis au bord de la route pour s’y asseoir et partager dattes et pastèques)

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et j’aurais presque accepté si la jeune fille n’avait imprudemment ajouté  » comme cela nous inviterons nos voisins et amis et vous nous apprendrez à parler comme les habitants du Royaume d’Angleterre ».

Il faut dire que grâce à Dame Ginette (la bénédiction d’Allah soit sur elle bien que, si j’en crois les Docteurs de la Loi, elle soit créature sans âme), qui a glissé dans mes bagages de menus présents de France à distribuer, je fais figure d’Ali Baba après la découverte de la Caverne.

Ainsi ces petites marchandes d’eau fraîche

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n’en revenaient-elles pas des quelques échantillons de parfum que je leur ai offert

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Mais c’est hier que j’ai ressenti le plus profondément la générosité de notre peuple.

Voulant franchir la chaîne de Sendandag pour me rendre de Zanjan au petit village de Masuleh où les toits des maisons inférieures servent de rue aux maisons supérieures

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je me suis sottement fié à cette invention de Sheitan : le GPS.

Celui-ci me conduisant dans un village en cul-de-sac je l’ai éteint et j’ai emprunté la seule route possible avant de me retrouver face à un dilemme, ayant, comme tu le sais, oublié mon Farsi (du moins l’écriture)

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C’est du conducteur de ce camion qu’est venu le salut

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Non seulement il m’a remis sur le bon chemin et écrit, en Persan, le nom de la petite ville à partir de laquelle je pourrai me diriger seul

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mais encore, avant de me laisser repartir, m’a-t-il invité dans sa demeure à manger des fruits rafraîchis et reprendre quelques forces

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Inutile de te dire que j’ai laissé à Amih Shaktarih, c’est son nom, pour les deux fillettes dont il m’a montré les photos (mais il ne m’a pas fait voir celle de son épouse !), des petits colliers de Dame Ginette…

Et après que la bonne Orange Bleue, qui file comme le vent sur l’asphalte et grimpe comme une mule dans la pierraille, m’ai fait franchir plusieurs crêtes sans se plaindre ni des bosses, ni de la poussière (il faudra que je nettoie sa chaîne !), ni, surtout, de la chaleur qui devenait ardente, elle et moi avons été récompensés en retrouvant la voie goudronnée qui devait nous mener à destination.

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La morale de cette histoire, mon bon Ali, c’est qu’il faut perdre sa route pour trouver des amis.

 

A Qazvin, le sept de la lune de Ramadan

 

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PS : Veuille, je te prie, dire à mon amie artiste peintre que si je porte tous les jours les souliers et la veste du Lavandou les Mollah me jetteraient en prison si j’arborais le pantalon à jambes coupées qu’elle a dérobé à son mari pour me l’offrir.

 

*les deux premières sont datées du 28 décembre 2015.

15 réflexions sur “Troisième lettre persane*

  1. Mon cher ami n’ oublie que pas quand tu rentreras tout maigre tout efflanqué de ton périple tu auras un deuxième pantalon à jambes coupées d’ un bel Orange . Un bleu, un orange ou ………..

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  2. Bravo Bébert, tu en as fait du chemin depuis ton départ le 14 juin……. et de belles rencontres !
    Je me régale de tes aventures et te souhaite bonne chance pour la suite et aussi
    UN BON ANNIVERSAIRE !!!!!!!
    Marie

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  3. Ah mon bon Captain Bertie ! Encore une fois, merci pour tes écrits, c’est toujours un régal de te lire…!😊
    Bien à toi.

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  4. Bravo, captain !!!
    Et cette peau d’Ikéa, vaut-elle les quelques écus dépensés pour le bien-être de ton séant ?

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  5. Coucou, l’Iranien.Je me joins à Marie-Christine pour te souhaiter un super bel anniversaire. Quel beau cadeau que tu t’offres en parcourant les contrées qui te font rêver!Encore bonne route sur l’orange bleue!
    Bises, Boté

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  6. Hello Cousin, j’adore cet adage : « Il faut perdre sa route pour trouver des amis ! »
    Fais gaffe quand même il y a des culs de sac ! 🙂

    On the road again !
    Bise et bon anniversaire Bebert

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    1. Merci mon Gilou, je suivrai ton conseil d’éviter les culs-de-sac, et notamment celui de l’Afghanistan si la route Hérat – Mazar e Sharif devait s’avérer impraticable car alors, mon visa iranien étant à simple entrée, je me retrouverai coincé au pays des Talibans !

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  7. Merci, cher Beh, de nous faire partager tes routes, rencontres et aventures depuis cette Perse où souffle le vent de l’histoire.

    On dirait qu’il ne suffit pas à te rafraichir, mais il nous fait du bien à nous, dans nos villes surchauffées, et dont les rues se vident mystérieusement à certaines heures. Car figure toi qu’ici, chacun se passionne pour un drôle de spectacle, qui se déroule, du reste, dans un pays que tu connais bien : une équipe d’une dizaine de jeunes gens (je n’ai pas compté), aux coiffures ridicules et portant sur le corps leurs peintures de guerre, s’efforce de pousser du pied une outre pleine de vent, vers un filet tendu au bout d’un grand pré qui sert de terrain de jeu. Bien sûr, l’outre n’y pénètre presque jamais, car les joueurs ne peuvent s’aider de leurs mains (ce serait pourtant plus facile !), et que de surcroit une équipe égale en nombre et en mérite fait tout pour les en empêcher. On me dit qu’un groupe de Persans a insisté pour participer à ce jeu, mais j’en doute fort.

    Cela donne au final un spectacle passablement ennuyeux, mais auquel il est difficile d’échapper. C’est que, et tu ne vas pas me croire, nos savants ont inventé une espèce de fenêtre étrange et portative où l’on peut faire apparaitre les images colorées (et qui bougent) de toutes sortes de spectacles, celui dont j’ai parlé inclus. Plus surprenant encore, il semble qu’un nombre considérable de gens, dans toutes sortes de pays, s’en soit doté. N’est-ce pas une drôle d’époque, que celle que nous vivons ?

    L’autre jour, pensant à ton voyage, je me suis pris à rêver d’une machine assez petite et légère pour qu’un chamelier, le chauffeur d’un camion ou le pilote d’un side-car puisse l’emmener avec lui, et depuis les steppes de l’Asie centrale, envoyer jusqu’ici les images de leurs voyages et de leurs aléas, des paysages traversés, de leurs rencontres… Voilà un spectacle qui aurait toute ma faveur, surtout si l’on peut y ajouter des sons et de la musique – mais il ne faut peut-être pas trop en demander.

    Bien sûr, je suis trop vieux pour connaitre un jour cela. Mais mes enfants, peut-être, mes petits-enfants, pourquoi pas ?

    En attendant, resteront tes lettres, infiniment précieuses, et tes peintures, si précises et tellement dans la tradition de nos miniatures.

    C’est déjà beaucoup.

    Ali, depuis Grenoble surchauffée, en France

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  8. Véritablement, c’est un plaisir sans égal de lire tes aventures. Quel talent !!! merci à toi, oh grand Bebert, de nous faire vivre ces moments délicieux passés avec ces gens d’une générosité qu’on a du mal à imaginer dans notre monde trop organisé…
    Nous avons hâte de lire la suite de ton voyage si merveilleusement raconté. Merci infiniment de ce partage qui incite ceux qui restent à suivre tes traces…
    Je viens de m’offrir  » Michel Strogoff  » … Fais attention à toi et régale nous encore et encore…
    le riri

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  9. Notre occident soit disant civilisé aurait fort à apprendre de nos voisins moyen orientaux et de biens d’autres sur l’accueil, l’entraide, l’ouverture et le partage. La facilité, l’état providence et toutes nos belles inventions nous rendent tout cela bien futile et ces sentiments ne survivent guère au temps d’une coupe de football.
    Je serais curieux de voir la liste de toutes tes rencontres depuis ton premier départ.

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