LETTRE II
Rica à Ali
A Grenoble
Exilé depuis si longtemps de notre chère patrie tu me demandes en quel état je l’ai retrouvée depuis notre départ.
Si les grands chemins sont désormais bordés d’horribles panneaux publicitaires…en anglais (!) et si les cimenteries, raffineries d’huile de pierre et autres forges géantes en occupent les abords immédiats, ce ne sont que chiures de mouches dans l’océan : le ciel et les montagnes sont toujours tels qu’Allah les a créés – à Lui toute puissance et de Lui toute miséricorde – et tels que tu les as quittés aussi te suffira-t-il de fermer les yeux pour les revoir dans la belle lumière des matins d’hiver.
Quant aux autres créations elles sont, comme toujours, sublimes lorsqu’Allah a guidé la main de l’homme
(souviens toi de la place Naghsh-e Jahan -en persan « modèle du Monde »– à Ispahan la Parfumée…) et affreuses lorsque ce fut la cupidité.
Nos compatriotes, n’en déplaise aux gazettes occidentales qui les dépeignent comme des sicaires prêts à en découdre, sont restés aussi amicaux et hospitaliers, tant avec l’étranger que, pour eux, je suis devenu, qu’avec tout étranger en général. Je regrette simplement que la mode ait changé et qu’ils se croient désormais obligés de se vêtir de couleurs sombres; il faut dire qu’ils sont perpétuellement en deuil : quand ce n’est pas du Prophète – que la bénédiction d’Allah soit sur Lui – c’est de l’imam Hussein, quand les quarante jours de deuil pour l’imam Hussein sont écoulés, c’est le tour de l’imam Hassan, puis celui du frère de l’imam Reza, etc, etc,
de sorte que notre pays détient, avec 132 jours par ans, le record du monde des jours chômés que seule leur macabre raison d’être m’empêche d’appeler « fériés ».
Ce sont nos femmes que tu ne reconnaîtrais pas. Les jeunes filles rieuses que tu as quittées sont devenues de tristes fantômes noirs (« les filles à Dark Vador » ai-je entendu dans la bouche d’un faransi) et leurs propres filles, que nous avons connues boutons de roses et que tu espérais sans doute aujourd’hui bouquets de Chiraz, sont contraintes à se dissimuler de la tête aux pieds pour « se protéger des hommes et ne pas leur donner de mauvaises pensées », n’étant autorisées qu’à montrer leur seul visage, encore bien à l’exclusion du cou et des cheveux !
Malgré cela certaines réussissent à faire passer toute leur juvénile beauté dans leur seul visage
-quand ce n’est pas dans leurs seuls yeux- et je dois t’avouer que, tout vieux que je sois devenu, certains regards m’ont chaviré.
…………
Voilà, mon cher Ali, en quel état se trouve la Perse d’aujourd’hui; elle est toujours, sinon le plus beau pays du Monde (tu sais, à cet égard, que mon coeur va à Cipango), du moins l’un des plus beaux.
Elle est aussi le plus triste.
De Gondar, le 8 de la lune de Rebiab, 21/12/2015
Je comprends mieux maintenant, pourquoi mon amie Farideh a fui, pour venir à Paris.
Elle est devenue une vraie parisienne, chic et élégante, la tête nue laissant apparaître ses beaux cheveux noirs !
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Marie, si tu fais passer ces « Lettres persanes » à ton amie Farideh explique-lui qu’il s’agit de pastiches d’un philosophe français dénommé Montesquieu (https://fr.wikipedia.org/wiki/Montesquieu ) du siècle des Lumières ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8cle_des_Lumi%C3%A8res ) qui, pour critiquer la société française de son époque, avait imaginé d’écrire, sous la fausse identité d’un Persan séjournant en France, des lettres à divers correspondants de ce qui ne s’appelait pas encore l’Iran (https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettres_persanes).
Beh Behr
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Cher Beh Behr,
Ne t’inquiète pas, Farideh connait très bien son pays et ce qu’il en vaut……
Quand je lui ai dit que vous visitiez l’Iran, elle a fait la grimace et m’a dit : » Quelle idée, j’en suis partie et pas prête d’y retourner……. » et elle a ajouté, « rien ne vaut la LIBERTE » !
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Quel plaisir de vous avoir retrouvés ici, et de vous suivre à nouveau.
Vite, je rattrape mon retard !
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Un peu d’érudition pour alléger le propos ; dans la version d’origine des Cigares du Pharaon (1934), Tintin est emprisonné comme espion sous le nom de Bah Bahr ; sans doute en clin d’œil à la BD contemporaine de Jean de Brunhof (1er titre en 1931) : ce n’est que dans deuxième version de 1955 que Tintin est alors dénommé Beh Behr.
Je pensais que cette vision de l’Iran était un peu sur jouée ; les médias (peu documentés et aux ordres il est vrai) me donnaient l’idée d’une pays en transition vers la modernité et la libération progressive des femmes et des moeurs.
Il semble qu’à votre lecture ce ne soit pas le cas.
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